Étiquette : adaptation

« Drive Your Plow Over the Bones of the Dead » de Simon McBurney à l’Odéon – fable écologique sur ce qui nous relie

Retrouvailles avec Simon McBurney plus de dix ans après son mémorable Maître et Marguerite, présenté dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Une continuité profonde lie ce spectacle au dernier en date, Drive Your Plow Over the Bones of the Dead : il s’agit une nouvelle fois de l’adaptation d’un roman – Sur les ossements des morts dans sa traduction française, écrit par l’autrice polonaise Olga Tokarczuk, Prix Nobel 2018 – qui a pour figure principale une femme. Après Marguerite donc, Janina. Ou plutôt Mme Doucheyko, car le personnage déteste son prénom. Ce n’est cette fois pas la magie de Woland qui inspire le metteur en scène britannique, mais, de manière plus diffuse, une perception ésotérique du monde, qui relie les astres à la nature, les animaux aux hommes, le petit au grand. Avec ce spectacle, la compagnie Complicité nous embarque dans une grande fresque narrative aux accents écologiques, grâce à un langage aussi précis que sophistiqué et un jeu d’acteur fascinant.
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« Némésis » de Tiphaine Raffier aux Ateliers Berthier – l’air vicié de notre temps

Tiphaine Raffier présente aux Ateliers Berthier l’adaptation d’un roman de Philip Roth, Némésis. La metteuse en scène, qui jusqu’ici montait ses propres textes, a cette fois choisi de s’emparer du dernier roman de l’auteur américain Philip Roth, écrit en 2010. Celui-ci n’a a priori rien à voir avec le théâtre, mais il a quelque part beaucoup à voir avec le précédent spectacle de Tiphaine Raffier. Dans le sillage de La Réponse des hommes, la metteuse en scène soulève en effet des questions d’ordre moral sur scène et parvient avec elles à saisir quelque chose d’impalpable qui paraît caractéristique de notre époque, un air du temps dans ce qu’il a de plus volatile.
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« Nul si découvert » de Valérian Guillaume au Théâtre de la Cité internationale – gros plan sur le théâtre des centres commerciaux

Au Théâtre de la Cité internationale, est créé un texte passé par le sas de la Mousson d’été. Après une lecture de Charles Berling en 2020, Nul si découvert, roman publié aux Éditions de l’Olivier cette même année, a entre-temps fait l’objet d’une adaptation par l’auteur, Valérian Guillaume, qui est également metteur en scène de ce spectacle. Si cette œuvre a aussitôt fait l’objet d’une mise en voix et en espace, avant d’arriver pleinement au théâtre, c’est probablement car elle prend la forme d’une longue tirade sans ponctuation – modalité d’écriture qui rappelle celle de Thomas Bernhard, le ressassement et la colère en moins. Pour donner corps à cette langue et à son personnage principal, Valérian Guillaume a choisi un acteur de taille : Olivier Martin-Salvan. Un de ces rares acteurs avec lesquels on veut bien prendre le risque d’un seul en scène, car il ne fait pas du Olivier Martin-Salvan, mais met sa virtuosité au service du texte qu’il porte, donné à entendre avec une précision réjouissante.
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Présentation de « Roméo et Juliette » de Shakespeare, dans la perspective de la découverte du spectacle de La Cordonnerie, « Ne pas finir comme Roméo et Juliette »

Présentation de Roméo et Juliette de Shakespeare, dans la perspective de la découverte du spectacle de La Cordonnerie, Ne pas finir comme Roméo et Juliette. Show devant réalisé au Théâtre de Châtillon. Le titre du dernier « ciné-spectacle » de la compagnie La Cordonnerie, Ne pas finir comme Roméo et Juliette, établit immédiatement un dialogue avec la pièce la plus connue de Shakespeare. Qu’on l’ait lue en entier ou par bouts, vue sur une scène de théâtre, d’opéra, de comédie musicale ou de ballet, vue adaptée à l’écran sous un quelconque format, ou entendue racontée de manière plus ou moins exhaustive, s’imposent immédiatement certaines réminiscences au moment d’en entendre le titre.
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Présentation d’ « Illusions perdues » de Balzac, dans la perspective de son adaptation à la scène par Pauline Bayle

Balzac désigne Illusions perdues comme « l’œuvre capitale dans l’œuvre ». Quand il écrit ce roman, il sait déjà qu’il prendra place – une place déterminante – dans La Comédie humaine, grande structuration grâce à laquelle il réunit l’ensemble de ses œuvres. C’est à partir de La Peau de chagrin que Balzac envisage de classer et réunir les romans qu’il écrit sous de grands titres. Puis avec Le Père Goriot, il a l’idée de faire revenir des personnages d’un roman à l’autre, pour les lier entre eux. De fait, dans Illusions perdues, on retrouve Rastignac, personnage du Père Goriot qui à la fin lance un défi à la ville de Paris : « à nous deux, Paris ! ». Illusions perdues révèle que ce défi est relevé !
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« Huit heures ne font pas un jour » de Julie Deliquet au TGP – utopie politique, utopie théâtrale

Le dernier spectacle de Julie Deliquet, Huit heures ne font pas un jour, avec lequel elle a inauguré son mandat à Saint-Denis, est repris un an après sa création. Après avoir adapté un scénario d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, avec la troupe de la Comédie-Française, après avoir adapté un scénario d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, avec son collectif In Vitro, la metteuse en scène s’est cette fois attaqué à un scénario de Fassbinder, auteur de théâtre allemand régulièrement monté, dont les œuvres cinématographiques et télévisuelles ont également inspiré le théâtre – notamment Thomas Ostermeier, qui a adapté Le Mariage de Maria Braun à la scène. Le défi que s’est proposé Julie Deliquet avec ce projet est plus grand encore par rapport à ses précédents spectacles : ce n’est pas un scénario de film, mais celui d’une série, dont cinq épisodes d’une durée moyenne d’une heure et demie ont été réalisés par Fassbinder. L’entreprise de réduction exigée est conséquente, même pour un spectacle qui dure 3h30. Non seulement Julie Deliquet y parvient avec intelligence, mais ce scénario lui offre en plus un matériau qui donne de l’ampleur à son geste artistique.
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« Père et fils » de Pedro Penim aux Abbesses – penser la GPA, le féminisme et la question du genre depuis Tourgueniev

Pedro Penim est le successeur de Tiago Rodrigues à la tête du Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne, depuis 2021. Après avoir été invité avec plusieurs spectacles en France, il est accueilli cette année dans le double cadre du Festival d’Automne à Paris et de la saison France-Portugal 2022 avec sa dernière création, Père et fils. Le titre est emprunté à un roman de Tourgueniev, qui à la fin du XIXe siècle dressait le portrait des premiers nihilistes, ceux que Dostoïevski considérera dans Les Démons comme la première génération des révolutionnaires avant celle des socialistes-terroristes, ces deux œuvres étant perçues après coup comme prophétiques des révolutions russes du début du XXe siècle. Le metteur en scène procède à une actualisation de l’œuvre qui l’inspire, plutôt qu’à une adaptation, en nourrissant le motif du conflit générationnel par des débats propres à notre époque. Le spectacle qui résulte de cette opération est intellectuellement dense, tout particulièrement dans sa première partie.
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« Iliade » et « Odyssée » de Pauline Bayle au Théâtre Public de Montreuil – adapter Homère sans représenter l’épopée

La nouvelle saison du Théâtre Public de Montreuil est inaugurée avec un diptyque de la metteuse en scène Pauline Bayle récemment nommée directrice du lieu, Iliade et Odyssée. Le premier volet a été créé en 2015 au Théâtre de Belleville, puis présenté au Off d’Avignon. Le deuxième, produit par la MC2 Grenoble, date de 2017. Le diptyque constitué a reçu en 2018 le Prix Jean-Jacques-Lerrant de la révélation théâtrale, décerné par le Syndicat de la Critique. Depuis, la metteuse en scène a créé Chanson douce au Studio de la Comédie-Française, Illusions perdues d’après Balzac, et Les Suppliantes d’après Eschyle, dans le cadre du projet « Adolescence et territoire(s) ». Pour entamer son mandat de directrice, Pauline Bayle revient à ces deux spectacles qui l’ont propulsée dans le paysage théâtral et le pose comme geste fondateur de sa pratique, caractérisée par l’adaptation de textes épiques ou romanesques.
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« Leurs enfants après eux » d’Hugo Roux au Théâtre 11 – portrait vigoureux d’une jeunesse désenchantée

Le Théâtre 11 est de ces salles, comme le Train bleu ou la Manufacture, dont la programmation est à suivre de près dans le Off d’Avignon, car les artistes qui y sont programmées une année peuvent se retrouver dans le IN l’année suivante. À 22h15, en salle 2, Hugo Roux présente une adaptation de Leurs enfants après eux, roman de Nicolas Mathieu paru en 2018, récompensé par le prix Goncourt et plébiscité par de nombreux lycéens qui choisissent de présenter cette œuvre à l’oral du bac de français. L’adaptation, qui implique sept acteurs au plateau et une ample scénographie qui ne cesse de se métamorphoser, est ambitieuse. Après le roman, elle parvient ainsi à immerger dans les intrigues estivales d’une ville de province, pendant la dernière décennie du XXe siècle.
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« Le moine noir » de Kirill Serebrennikov dans la Cour d’honneur du Palais des Papes – le diamant noir de la folie

L’édition 2022 du Festival d’Avignon est inaugurée dans la Cour d’honneur du Palais des Papes avec Le Moine noir. Après Les Métamorphoses d’Ovide, un scénario de Lars von Trier, Les Idiots, et le roman inachevé de Gogol, Les Âmes mortes, le metteur en scène russe s’empare cette fois d’une nouvelle de Tchekhov. Son adaptation, construite comme un crescendo, mène du réalisme au mysticisme, suivant une montée en puissance d’autant plus impressionnante qu’elle est imprévisible.
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