« Histoires diaboliques » d’après Nicolas Gogol à la MC93

Après avoir adapté Les Âmes mortes en juin 2010, Anton Kouznetsov revient à Gogol et s’empare cette fois de trois de ses nouvelles, La Brouille des deux Ivan, Vij et La Nuit juste avant Noël. Toutes trois invoquent d’une façon ou d’une autre le diable – d’où leur rapprochement et le titre du spectacle, Histoires diaboliques. Pour cette nouvelle création, Kouznetsov use et abuse de moyens scénographiques, et ce au détriment du texte et des comédiens. 

Histoires diaboliquesQu’il soit l’un des personnages d’un beau conte d’amour, qu’il ait ensorcelé une femme devenue sorcière ou qu’il soit invoqué à tout bout de champ par tic de langage, le diable est au cœur de ces nouvelles de Gogol. Cette figure, magistralement mise en scène dans le roman de Boulgakov, Le Maître et Marguerite, est caractéristique de la littérature russe. A travers elle sont abordés les thèmes de la religion et des croyances populaires, et, plus largement, de l’amour et de l’amitié.

L’originalité du spectacle tient à l’entremêlement de ces trois nouvelles. En effet, plutôt que d’être relatées l’une après l’autre, leurs narrations sont imbriquées. Après un préambule pris en charge par un narrateur, d’emblée focalisé sur le diable, les comédiens se métamorphosent donc d’une histoire à une autre, passant avec aisance d’un registre délibérément comique voire absurde à une tonalité plus tragique. La narration ainsi diversifiée donne du dynamisme à la structure d’ensemble, en particulier lors des dénouements.

Outre ce personnage du diable, Kouznetsov nourrit son spectacle de poncifs de la culture russe. Des costumes faussement typiques viennent habiller les comédiens, qui arborent un jeu sans nuance, destiné à restituer les caractères passionnés des personnages de Gogol. Ce surjeu, bien qu’il suscite le rire, laisse peu place au talent des comédiens – que l’on avait pu apprécier dans son spectacle précédent, Les Âmes mortes, en ce qui concerne Hervé Briaux et Laurent Manzoni.

Histoires diaboliques - KouznetsovA cela s’ajoute une scénographie imposante, qui laisse peu place à l’imaginaire. De basses maisons de pierre blanches à multiples ouvertures occupent une grande partie de la scène. Elles sont cernées de voiles qui tantôt servent à réfléchir la lumière, tantôt deviennent écran pour de trop rares projections. Un fond composite de bois et de verre fait écho à la table de même matière qui trône au centre, entourée d’un banc et de tabourets.

Le fantastique des nouvelles est lourdement appuyé par toutes sortes de lumières, de musiques et d’effets sonores, qui redoublent le texte de façon pléonasmique. Cette débauche de moyens qui interpelle les sens concurrence la langue de Gogol et la décharge de sa puissance. La triste acmé de cette esthétique a lieu lors de la visite du forgeron à la tsarine : là, les pans du fond s’ouvrent et dévoilent de grandes poupées macabres dotées de voix d’outre-tombe, qui ne sont pas sans évoquer la maison hantée de Disneyland.

De plus, tous ces recours scéniques, multiples et protéiformes, semblent trop propres, trop délimités. Les couleurs, les costumes ou encore la danse ensorcelée d’Aurore James portent de façon trop évidente la marque de l’artifice.

In fine, ces trouvailles, plutôt que d’apparaître fortuites et audacieuses, non seulement desservent le texte mais en plus sous-estiment le spectateur dans sa capacité à rêver. Cette représentation est loin d’être vécue comme un mauvais moment, mais il est certain qu’une scénographie moins chargée aurait mieux rendu hommage à l’œuvre de Gogol et aurait davantage déclenché la puissance imaginative qu’elle appelle.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur « Histoires diaboliques », rendez-vous sur le site de la MC93.

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