« Les Oiseaux » de Tarjei Vesaas [extrait]

Chapitre XIV

Le lendemain matin, il pensa, le cœur plein à déborder :

Aujourd’hui, c’est moi et la bécasse.

Comment, il ne pouvait l’expliquer. Il n’avait pas besoin d’une explication non plus. Il y avait bien des raies au-dessus de la maison – des traces de la bécasse qui était passée par ici pendant qu’il dormait cette nuit, et toutes les nuits maintenant. C’était presque un péché que de dormir.

Plus Mattis pensait à la bécasse, plus il était certain qu’il arriverait de bonnes choses. Quelque chose qui serait autrement. C’était pour cela que la bécasse passait au-dessus d’ici matin et soir, mais toujours pendant que les gens étaient cachés dans leurs maisons.

Cela signifiait quelque chose de bon, lui semblait-il. Evidemment, il pouvait sortir et veiller, suivre le passage de l’oiseau dans l’air aussi souvent qu’il voudrait. C’était la bécasse et lui.

Aujourd’hui, c’était un jour nouveau avec elle.

La bécasse comblait les pensées de Mattis. Il ne pouvait s’empêcher d’y faire allusion sans cesse devant Hege. Celle-ci était fatiguée mais il pouvait bien se comporter de telle sorte que Hege ne sût pas de quoi il s’agissait, croyait-il, et de sorte qu’il pût pourtant soulager son cœur. De bonne heure, ce matin-là, tandis qu’elle lui donnait à manger, il dit à Hege :

– Ça va et ça vient pour moi maintenant.

– Qu’y a-t-il donc ? demanda-t-elle patiemment.

– Comme ça.

Il fit un trait en l’air avec ses doigts, comme une passée de bécasses.

Hege voulut poursuivre son travail. Elle était toujours pressée. Mattis était heureux de l’associer à ce qu’il portait en son cœur juste alors, mais, dans son aveuglement, Hege ne le comprenait pas.

– Attends un peu, Hege, c’est important ça.

– Vite alors, dit-elle.

– Tu en sais si peu sur certaines choses.

Il dit cela amicalement, d’un ton un rien effrayé. Il parlait à quelqu’un de futé, non ?

– Oui, tu l’as déjà dit, répondit Hege.

– C’est passé et repassé, dit-il.

– Et pendant que tu dormais, dit-il.

– Tous les jours, dit-il pour arrondir.

Alors, elle le regarda comme elle eût regardé un adulte, puis elle dit :

– Tant mieux pour toi que tu le prennes ainsi. Ce n’est pas mon cas, je dois dire.

Elle restait là à présent, elle ne se précipitait pas sur les roses à huit pétales. Elle avait entendu dans le ton de sa voix quelque chose qui l’arrêta.

– Qu’est-ce que ça te fait, donc, à toi ? demanda-t-il. Mais il était allé trop loin. Avait tout démoli. Elle se reprit, c’était sa faute à elle, pourtant.

Mais un chant déferlait sur Mattis : lui et la bécasse. Il dut pénétrer dans le bouquet d’arbres, juste sous l’endroit où se trouvait la trace invisible dans le ciel. C’était son chemin à lui maintenant, son chemin empli de joie. Il ne fut pas déçu cette fois-là non plus : au bout du petit chemin, il dut s’arrêter.

Tu es toi, dit une voix au-dedans de lui. Du moins est-ce ce qu’il entendit.

C’était dit en langage d’oiseau, écrit en écriture d’oiseau.

Il se trouvait près d’un fossé à sec, juste en dessous de la passée. Se tenait là comme ensorcelé, et regardait. Lisant un message (que l’on appelle cela comme on voudra) adressé à lui précisément.

Dans le fossé boueux, il y avait des empreintes légères de pattes d’oiseau, et puis quantité de petits picotis ronds et profonds dans la terre marécageuse. C’était la bécasse qui était passée par là. Les trous profonds avaient été faits par le bec de l’oiseau à la recherche de quelque chose de mangeable, et parfois c’étaient seulement des picotis : c’était son écriture.

Mattis se pencha et lut. Regarda les légères empreintes dansantes. L’oiseau est si léger, si beau, pensa-t-il. Mon oiseau marche si légèrement dans le marécage quand il est fatigué du ciel.

Tu es toi, voilà ce qui était écrit.

C’était vraiment une salutation.

Il chercha un petit bâton et marqua une réponse dans une tache intacte de vase. Il n’employa pas de lettres ordinaires, c’était pour la bécasse, n’est-ce pas ? aussi employa-t-il l’écriture d’oiseau lui aussi.

La bécasse va sûrement le remarquer la prochaine fois qu’elle viendra ici. Il n’y a que moi qui vienne ici, que moi qui écrive.

L’endroit était silencieux et retiré. On n’aurait pu trouver de meilleur lieu de rendez-vous. Autour du petit marécage, il y avait la grande forêt, et l’éclat du soleil passait par une percée, se posait, doux et chaud, sur le fossé, l’asséchant, si bien que ceux qui étaient légers et farouches pouvaient y danser.

S’assoirait-il ici pour le reste de la journée, jusqu’au soir, jusqu’à ce que l’oiseau arrive et, peut-être, se pose à côté de lui ?

C’était tentant, mais il refusa. Il n’osait pas. C’était si extraordinaire. L’oiseau pouvait prendre peur, et quelque chose aurait pu être détruit qu’il ne fallait abîmer pour rien au monde.

Or, il y avait ici une salutation, il fallait s’y associer.

Demain matin, il reviendrait voir si la bécasse avait lu. Il s’en alla à la maison en sifflotant et ne dit rien – puisque Hege restait fermée à des choses de ce genre.

Les champs de blé, Van Gogh

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