« Le Maître et Marguerite » d’après Mikhaïl Boulgakov dans la Cour d’honneur du Palais des Papes : le chef d’oeuvre de Simon McBurney

Artiste associé de la 66ème édition du Festival d’Avignon, Simon McBurney investit, à proprement parler, la mythique Cour d’Honneur du Palais des Papes. Son adaptation du roman de Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite, est une féérie jubilatoire qui l’institue véritable magicien de la soirée.

Le roman de Boulgakov pose plus d’un défi à la scène. Pour autant, McBurney ne renonce ni à donner à voir les tours de magie les plus extravagants du diable Woland, en visite à Moscou dans les années trente, ni à représenter la Jérusalem antique de Ponce Pilate et de Yeshoua. A cela s’ajoute la magnifique histoire du Maître et de Marguerite, qui donne leurs titres à l’œuvre et au spectacle.

Ces trois récits, étroitement mêlées dans le roman malgré leurs diversités spatiales et temporelles, sont traités avec la même intrication sur le plateau. Pour ce faire, le metteur en scène britannique déploie les multiples moyens de la scène avec grandeur et générosité. Les effets sonores, lumineux et visuels, en plus d’être nécessaires à l’activation de l’imagination du public, s’inscrivent de façon indissociable dans ce lieu emblématique du festival.

McBurney exploite en effet le moindre détail de la Cour d’Honneur et lui donne vie, pour le réinvestir dans le spectacle. Grâce à une superbe technique visuelle, appuyée sur la pratique de l’image filmée et projetée en temps réel, il nous fait voyager de Moscou à Yalta, nous conduit jusqu’à Jérusalem et aux jardins des oliviers de Gethsémani, et nous initie même aux secrets de la cinquième dimension. Comme des enfants, les spectateurs sont ébahis, la bouche entrouverte.

L’artiste polyvalent ne s’en tient pas là grâce à une direction d’acteurs extrêmement vivante et précise. Pareil à un chef d’orchestre, il guide parfaitement les seize comédiens qui se trouvent sur scène, leur assignant à tous des places et des rôles bien particuliers.

A travers eux, non seulement l’ensemble des personnages mémorables de Boulgakov prend corps, mais le public du Théâtre des Variétés, notre double fourvoyé, et la foule du bal de la pleine lune de printemps sont représentés. Les jeux d’ombre et de lumière contribuent à rendre insaisissable ces subtilités qui nous échappent mais qui donnent son rythme au spectacle.

La scène, rarement éclairée de plein fouet, est découpée en différents espaces, délimités par des lignes de lumière. A celles-ci s’ajoutent quelques éléments de décors, rares mais efficaces, manipulés avec une infinie souplesse par les comédiens. Ces droites et diagonales permettent de passer sans transition d’un lieu à un autre, suivant les analepses, prolepses et autres interruptions oniriques du récit : la maison des écrivains Groboïedov, le sous-sol du Maître, la maison du mari de Marguerite, l’appartement 50 de la rue Sadovaïa et le palais d’Hérode à Jérusalem… Tout cela se retrouve sur scène.

Cet entremêlement des histoires, fidèle au roman, révèle des superpositions entre les personnages : entre Marguerite et Yeshoua, entre Matthieu Lévi et Ivan le poète, ou entre Judas et le critique Aloysius. Ces effets de sens lient encore les deux univers, déjà entremêlés par l’acte d’écriture du Maître, qui relate l’histoire de Ponce Pilate, et la lecture amoureuse qu’en fait Marguerite.

Si le passage à la scène du roman nous prive de la présence du narrateur, incontournable à la lecture tant il est intrusif, on retrouve son énergie vivace et son humour. Ses commentaires sont parfois pris en charge par des personnages qui se fondent dans la masse plutôt que de s’en distinguer. Le choix qu’implique une réduction à trois heures de spectacle atténue également la part maléfique des acolytes de Woland, et le lourd questionnement sur la folie qui en résulte. Néanmoins, le message de compassion que l’on retrouve de Pilate à Marguerite retentit avec force et témoigne d’une lecture fine du texte de Boulgakov.

C’est un véritable tour de force aidé, voire fondé, sur une technique magique, envoûtante et réjouissante. La jubilation que partagent le metteur en scène et sa troupe, d’emblée perceptible, se communique rapidement au public extasié. Les lumières reviennent et le spectateur éprouve de la mélancolie, comme à la sortie d’un rêve qui s’évanouit trop rapidement alors on voudrait s’y complaire.

F.

Pour en savoir plus sur « Le Maître et Marguerite », rendez-vous sur le site du Festival d’Avignon.

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