« Oncle Vania » d’Alain Françon aux Amandiers

Alain Françon ne lésine pas sur les décors dans sa mise en scène d’Oncle Vania aux Amandiers ! Sur le plateau de la grande salle, il montre le passage des saisons grâce à de grands panneaux, illustrant le parc du domaine qui réunit tous les personnages de la pièce de Tchekhov. Prenant le temps de mettre en place leurs rapports sans les caricaturer, il offre une lecture juste du texte.

Dans un microcosme coupé du monde, un système clos et équilibré, qui réunit Oncle Vania, sa nièce Sonia, sa vieille mère, la nourrice et « la Gauffre », l’arrivée de son beau-frère et de sa deuxième femme provoque un séisme. Le déchaînement des passions n’est que second ; le premier effet de leur arrivée est une oisiveté contagieuse.

La perturbation de l’équilibre précède le début de la pièce. Tchekhov en situe l’ouverture une fois que le vieil intellectuel raté, malade et à la retraite a déjà instauré ses habitudes. Depuis qu’il est là, le samovar reste jusqu’à six heures du soir sur la table et le thé est froid, les horaires sont bouleversées et il n’y a plus que Sonia qui se préoccupe de tenir le domaine.

La présence d’Alexandre suscite également des séjours réguliers et fréquents de la part du docteur, sans cesse appelé sur place mais repoussé par le malade. Il abandonne la grandeur de ses projets et de ses idéaux pour profiter d’Elena, dont la beauté est telle qu’elle transcende celle de sa belle-fille, Sonia – qui elle, aime le docteur. Oncle Vania aussi est chamboulé par Elena, ce qui ne l’empêche pas de pester contre son beau-frère et sa mère.

En quelques traits, voilà le schéma de leurs relations. Tous réunis autour de la grande table ou en conciliabule par groupes de deux ou trois, les combinaisons sont infinies et le passage de l’une à l’autre fluide. Le mode de la complainte domine largement. La « concorde » qui est louée au début ne résiste pas à la vieillesse, l’ennui et les tensions, continuellement nourris par le bavardage petit bourgeois nouvellement instauré.

Les relations se dégradent, tout comme le temps qu’il fait dehors, sans cesse à vue grâce aux fenêtres qui trônent. Après une nuit d’orage qui met les nerfs à vif et qui fait passer du rire aux larmes, l’automne. Alexandre annonce qu’il souhaite vendre le domaine pour des raisons financières. C’en est trop pour Vania qui explose de colère et tente de le tuer. Il n’y a plus qu’à quitter les lieux pour le couple perturbateur.

Une fois partis, le calme reprend place. Le dernier tableau offre la vision de la situation initiale éludée. Pour survivre dans cette retraite, Vania et Sonia doivent agir, reprendre leurs activités pour faire tourner le domaine, et se détourner des passions destructrices. Le docteur Mikhaïl s’en va lui aussi, retournant à ses forêts et ses malades délaissés.

Costumes et décors entrent dans la veine réaliste. Françon va jusqu’à laisser une bonne partie du spectacle dans une demi-pénombre pour que le spectateur garde sans cesse à l’esprit que le deuxième tableau se déroule la nuit. Cela ne l’empêche pas de jouer avec le mime, l’intonation et la gestuelle de ses comédiens pour accentuer la dimension comique du texte.

La grande qualité de cette mise en scène est qu’elle se sert de tous les moyens qui sont à sa portée pour exprimer les relations des personnages. Leur ennui est communiqué au-delà des mots du texte, de même que l’on perçoit clairement que l’ordre se remet en place durablement. D’un décor à un autre, transformé comme par magie dans le noir le plus complet, les comédiens ne se trouvent pas encombrés par les objets qui les accompagnent pour donner vie à ces « scènes de vie à la campagne », bien au contraire.

F. pour Inferno

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