« L’Eden Cinéma » de Duras au Théâtre 71 : Duras adapte Duras.

Duras déplorait les adaptations cinématographiques de ses romans par René Clément et Jean-Jacques Annaud, qui modifiaient le sens de ses œuvres selon elle. Elle s’est elle-même chargée de transposer Un barrage contre le Pacifique pour le théâtre, sous le titre d’Eden Cinéma. En réalité, c’est presque la seule chose qui différencie les deux œuvres : ce qu’elle propose est une forme de lecture du roman sur la scène. Jeanne Champagne y soumet ses comédiens dans une jolie scénographie qui ne comble pas pour autant le besoin de théâtre.

Suzanne et Joseph racontent l’histoire de leur mère, de « la » mère. Depuis sa jeunesse dans le Nord de la France jusqu’à son acharnement mortifère pour construire des barrages contre le Pacifique, pour faire pousser du riz sur des terrains incultivables, cette mère veuve et obstinée est prête à tout pour donner tort aux administrateurs du cadastre. Elle est si obnubilée par ses plaines marécageuses qu’elle pousse sa fille dans les bras de M. Jo, riche vendeur de caoutchouc, qui désespère d’obtenir un jour les faveurs de Suzanne.

Tous les éléments sont là, tels quels. La pièce va même jusqu’à mettre en scène le Caporal, qui vit avec la famille dans le bungalow, mais à qui n’est pas attribué un seul mot. La langue aussi, est inchangée. Il en résulte que sur scène, on raconte plus qu’on ne joue, on se souvient, plus qu’on ne vit. Les comédiens s’adressent à nous, retracent le parcours de la mère, en le ponctuant de quelques épisodes de jeu.

Quant à la scénographie, elle est ludique et se prête aux variations du récit. Contrairement aux costumes, elle ne s’inscrit pas dans une perspective réaliste, jouant avec la lumière pour créer différentes atmosphères et indiquer divers moments de la journée. Surmontée de lettres lumineuses qui écrivent « Eden Cinéma », la scène joue sur deux niveaux entre le sol en sable et les pontons en bois.

Dans cet espace, les corps sont partagés entre son occupation, sous toutes ses formes, et le public vers lequel ils se tournent. Hésitation permanente qui vient du texte et qui nous frustre autant que les comédiens, malgré leur énergie et leur facétie. Le micro et la voix off ne suffisent pas à déguiser la dimension narrative de cette « pièce », qui a plutôt l’allure d’un roman mis en voix.

Malgré le talent des artistes, en particulier Agathe Molière, le spectacle n’ajoute pas de plaisir à celui de la lecture texte, qu’on peut tout aussi bien apprécier chez soi.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur « L’Eden Cinéma », rendez-vous sur le site du Théâtre 71.

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