« Chicago » d’Alaa El-Aswany

Chicago est un roman de l’Egyptien Alaa El-Aswany qui date de 2007 et qui relate la vie d’une communauté d’émigrés dans la ville éponyme. L’auteur y aborde des sujets aussi actuels que la politique, la religion et l’émigration, mais à travers l’histoire intime de plusieurs personnages. Le roman est composé d’une multitude d’intrigues entremêlées dans l’enchaînement de courts chapitres, dont l’apposition crée des effets de rupture et de suspens.

La majorité des personnages du roman côtoient de plus ou moins près l’université de l’Illinois de Chicago, et en particulier le département d’histologie – science des tissus organiques. Ils y sont professeurs ou étudiants boursiers, Américains ou Egyptiens. Dans ce microcosme social, les problématiques de chacun convergent et des liens puissants naissent entre eux.

L’étudiant Nagui se distingue des autres dans la mesure où son histoire nous est rapportée à travers la lecture de son journal intime, dont les extraits à la première personne sont disséminés tout au long de l’œuvre. Le vote de l’attribution de sa bourse et son arrivée à Chicago constituent le point de départ du roman.

En plus d’être regroupés en un même lieu, l’ensemble des personnages est saisi au cours d’une même période de temps. Cette perception fondamentale n’est pas immédiate, elle se bâtit dans l’empilement progressif des chapitres. Plutôt que de poser dès le début le cadre commun des intrigues, El-Aswany le met en place petit à petit, faisant appel à la mémoire du lecteur pour dessiner des parallèles entre les personnages.

L’auteur privilégie une technique de narration toute particulière : celle de se focaliser à chaque chapitre sur une intrigue qui réunit un protagoniste ou un couple de protagonistes, dont les portraits sont livrés à un moment précis. Le narrateur, dont la présence ne se fait sentir que dans l’agencement des chapitres et des informations, a alors recours à des analepses, ou flash-back, pour inscrire le personnage dans la durée et révéler ses caractéristiques à la lumière du passé.

L’impact de tels procédés sur le lecteur est une curiosité sans cesse entretenue. De nombreux chapitres s’achèvent au moment crucial de la scène, et il faut en passer plusieurs avant qu’elle ne reprenne ou que l’on comprenne les conséquences de tel geste ou de telle parole. Cette structure rappelle la première forme du roman, publié en feuilletons dans le quotidien cairote Al-Dustour.

La diversité des personnages assure à chaque lecteur d’y trouver son goût. Si Safouat Chaker et Danana, serviteurs actifs de la Sécurité d’Etat sont indubitablement et universellement exécrables, l’on peut être différemment touché par les histoires de Saleh et Zeïneb, de Nagui et Wendy, ou de Tarek et Cheïma. Au sein de leur couple, ils éprouvent chacun à leur façon les exigences de la religion musulmane ou les enjeux d’un engagement politique.

Chapitre après chapitre, le roman s’élève jusqu’au moment tant attendu de la visite du Président égyptien aux étudiants émigrés de la ville de Chicago. Occasion de prêter allégeance au chef d’Etat ou au contraire de manifester à son encontre, cet épisode réunit une grande partie des personnages. Certains y restent indifférents mais le dénouement de leurs épopées individuelles concorde avec cet épicentre.

L’observation minutieuse des vies de ces figures, auxquelles l’auteur prête une attention toute particulière, contrebalance largement avec le pessimisme qui pèse sur la majorité des intrigues. La dimension politique du roman reste une toile de fond, laissant l’avant de la scène à l’échelle de l’individu. Cet équilibrage permet de concilier le plaisir de la lecture à la sensibilisation à des problématiques profondément contemporaines.

F.

 

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