Mrs Dalloway, de Virginia Woolf à Stephen Daldry

Mrs Dalloway est l’héroïne la plus connue de Virginia Woolf. Leurs noms s’associent presque automatiquement dans nos esprits, et il arrive même que le lecteur les confonde en tournant les pages du roman éponyme. C’est avec cette oeuvre que l’écrivain anglaise explore ses nouvelles techniques romanesques, centrées autour de la notion de flux de conscience.

Le point de convergence des nombreux personnages de Mrs Dalloway est Londres, une journée de juin. Depuis le matin de la réception de Mrs Dalloway à la soirée qui en réunit la plupart, le Big Ben marque les heures et rythme les pensées de chacun.

Le roman est moins fait d’action que de perceptions. On ne se situe pas d’un point de vue extérieur, mais dans l’intimité des consciences qui se croisent et dialoguent autour des mêmes phénomènes. Les perceptions sont ainsi tressées les unes avec autres dans une fluidité parfois trompeuse mais délectable.

Virginia Woolf nous donne ainsi à voir des harmonies et des dissonances. L’émotion qui accompagne les retrouvailles de Clarissa Dalloway et de Peter Walsh, son vieil ami qui fut amoureux d’elle dans leur jeunesse, fait communiquer leurs esprits au-delà des mots. Clarissa sent exactement que Peter la critique alors qu’elle reprise sa robe verte, et Peter sait qu’elle sent peser sur elle le jugement qu’il porte.

Un autre couple, celui de Septimus et Rezia, est au contraire dans la dissonance totale. Lui a des séquelles psychologiques de la Première Guerre : il entend des voix qui lui livrent la vérité du monde et l’érigent au rang de figure christique. Son épouse souffre de ne pas avoir accès à ses illuminations et de son éloignement pendant ses crises de folies.

Le texte suit les détours d’une errance dans Londres, durant laquelle des grands moments d’attention font se croiser des perspectives différentes. Ainsi, le passage de la voiture escortée en grande pompe suscite les rêves et les spéculations sur la personnalité qui s’y cache. De même, l’avion publicitaire qui dessine des lettres dans le ciel oriente le nez de toutes les figures vers lui.

Ce qui séduit dans ce parcours d’une âme à une autre, d’une intériorité à une autre, c’est la précision des descriptions. Les mouvements de la pensée sont suivis au plus près, dans leur impétuosité et leur souplesse. Les transitions se font sans peine et l’on suit avec une attention extrême le parcours des uns et des autres dans l’intrication de leur vécu.

Michael Cunningham s’est inspiré de ce roman de Virginia Woolf pour écrire The Hours (1999), reprenant le premier titre auquel Woolf avait pensé pour Mrs Dalloway. Le cinéaste Stephen Daldry s’est emparé de l’œuvre de Cunningham pour son film, sorti en 2001, et tous deux offrent une très belle adaptation, un dialogue qui noue ensemble 1925, 1951 et 2001 et réunit Meryl Streep, Julianne Moore et Nicole Kidman.

Aux tresses de conscience du roman se substitue dans le film l’enchevêtrement de la vie de trois femmes : Virginia Woolf à Richmond, dans la banlieue de Londres, alors qu’elle écrit le roman ; Laura Brown, mère au foyer à Los Angeles en 1951 qui lit le roman et s’y identifie profondément ; Clarissa Vaughan, la Mrs Dalloway du XXIe qui donne une réception le soir même à New-York.

Les transitions de l’une à l’autre se font autour d’attitudes communes, de positions – en particulier celle allongée et de profil – qu’elles partagent d’une époque à une autre. Après l’incipit poignant qui montre le suicide de Virginia Woolf, la vie des trois femmes est liée de façon étroite autour de la première phrase du roman : Virginia écrit « Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs ». Laura Brown commence sa journée en ouvrant son livre et en lisant cette phrase. Enfin, Clarissa annonce à Sally, son amie, qu’elle va se charger d’acheter les fleurs, au matin de la réception.

Autour d’une journée unique, comme dans le livre, on suit la vie de ses trois femmes qui souffrent profondément. Leurs destins se croisent autour de thèmes communs, tels que l’homosexualité ou la folie, qui sont tous deux sujets à de forts moments d’intensité, magnifiquement accompagnés par la musique.

Les multiples figures du roman se retrouvent dans l’un ou l’autre des personnages. Ainsi, Richard, le mari de Clarissa dans le roman, est devenu son grand ami. Poète, il est très proche de Septimus par les voix qu’il entend et par la maladie qui le ronge. En ce sens, il est inévitablement rapproché de Virginia Woolf elle-même qui montre également des symptômes de folie et qui se sent persécutée par les médecins.

La question qui est présente aussi bien dans le roman que dans le film, est celle de la mort sans raison apparente. Laura Brown pense se suicider pour avoir raté le gâteau d’anniversaire de son mari. Au cours d’une superbe scène, elle se rend dans une chambre d’hôtel avec ses médicaments, et l’eau de la rivière de Richmond envahit le lieu et manque de la noyer. C’est le geste créateur de Virginia qui est illustré là. Finalement, l’auteur renonce à tuer son héroïne, et Laura Brown retourne chez elle, indemne.

Le livre et le film procurent des plaisirs très différents mais tous deux de grande qualité. L’univers de Mrs Dalloway continue d’habiter le lecteur après qu’il a tourné les dernières pages. Le film fait durer le plaisir du roman et surenchérit même en donnant à voir ce à quoi chaque lecteur rêve inconsciemment : l’auteur saisit dans son intimité, qui compose son roman. Pour aller plus loin encore dans cette direction là, il reste les Journaux de l’écrivain, extrêmement riches.

F.

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