« J’aurais voulu être égyptien » d’après Alaa El Aswany aux Amandiers

J’aurais voulu être égyptien n’est pas l’adaptation du recueil de nouvelles d’Alaa El Aswany de ce nom, mais de son roman Chicago. La lecture que Jean-Louis Martinelli, directeur du théâtre des Amandiers, nous propose de cette œuvre mêle à la puissance du texte l’inventivité dramaturgique.

Chicago est un roman qui présente une galerie de portraits de la communauté égyptienne de la célèbre ville américaine. Le personnage central de cette fresque, Nagui, est le dernier arrivé et celui qui porte en lui des rêves de révolution. A l’occasion de la visite du président égyptien à Chicago, cet étudiant tente d’animer la fibre révolutionnaire de ses compatriotes. Malgré leurs idées erronées sur l’Egypte et les menaces de Safouat Chaker qui travaille au service de renseignements de l’ambassade, il continue de mener son combat.

Son parcours et ses rencontres avec les différents personnages poseront des problématiques aussi actuelles que celles de l’immigration, de la dictature politique et du régime américain post-onze septembre.

Le plateau s’étend dans la largeur, occupé d’une longue table, de chaises, de canapés, de fauteuils, de porte-cintres sur les côtés et d’un meuble de loge sur la gauche. Tout ce qui est nécessaire à une répétition est à porté de main. Les costumes pendus aux tringles qui attirent très vite le regard sont au cœur de cette mise en scène. C’est grâce à eux que les multiples figures d’Alaa El Aswany surgiront et seront caractérisées.

L’illusion théâtrale n’est pas de mise, ce qui répond bien aux contraintes de l’adaptation. Qu’il s’exprime en son nom ou que le comédien parle de son personnage à la troisième personne en suivant le texte à la lettre, il se tourne vers le public et s’adresse à lui. Ceux qui ne sont pas impliqués dans les différentes scènes – lorsqu’ils ne dessinent pas un arrière-plan derrière le voile translucide qui sépare la scène en deux – restent sur le plateau et deviennent nos doubles : ils regardent leurs pairs et réagissent à leurs propos comme s’ils découvraient le texte.

L’espace et les accessoires sont exploités au minimum. Ce sont les neuf comédiens qui par la parole et leur corps situent leur discours et créent la situation d’énonciation. Le spectateur se concentre donc sur eux et leur talent à tous pour incarner les personnages qui sont invoqués. D’un couple ou d’un groupe à l’autre, les transitions se font par la musique, qui occupe une place centrale, qu’elle soit diffusée ou chantée par eux. En cela, on peut dire que c’est une véritable mise en voix du roman.

Sa condensation et sa réduction aux épisodes essentiels fait surgir les thèmes les plus importants. Le message principal, porté par Nagui, est qu’il faut dissocier le conflit religieux du conflit politique. La religion musulmane n’entre pas en compte à ses yeux dans le blâme du régime. Ces réflexions, portées à leur paroxysme lors de la belle scène qui l’oppose au chirurgien Karam Doss, sont sans cesse accompagnées de verres d’alcool.

L’érotisme et les relations sexuelles ont aussi leur importance dans les rapports des différents personnages. Que ce soit avec Danana que Maroua veut quitter par dégoût, entre Chris et Saleh qui se séparent après des années, ou encore Nagui avec la séduisante juive Wendy, tout est affaire de relation à nouer, dénouer ou renouer, avec pour fond les lumières de Chicago mais aussi l’Egypte, lointaine et omniprésente.

L’épopée est complète et nous tient en haleine. Elle nous a donné à voir l’histoire de ces personnages, séduisants ou horripilants en fonction de leur grandeur d’âme. Le dispositif instaure une véritable proximité entre comédiens et spectateurs qui partagent le rire ou la répulsion.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur « J’aurais voulu être égyptien », rendez-vous sur le site des Amandiers.

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