« Visions » de Francisco de Quevedo à Arques-la-Bataille

Hier soir, les fidèles se sont rassemblés en l’église d’Arques-la-Bataille en Haute-Normandie pour écouter la messe du Père Lazar, accompagné à l’orgue par Benjamin Alard. Nous étions près de deux cents à nous retrouver à la nuit tombée dans le chœur, derrière l’autel. Le texte mis à l’honneur était les Visions de Francisco de Quevedo, auteur du XVIIème siècle traduit par le Sieur de la Geneste. Il était assorti de la musique de compositeurs espagnols de la même époque ainsi que de celle de Couperin.

Il faut connaître Lazar et son travail pour le suivre jusqu’au fin fond de la Normandie, un peu au Sud de Dieppe, une nuit d’été pluvieuse, et qui plus est pour une rencontre dans le noir. Lui qui manie si bien l’art de structurer son corps avec la bougie et avec une gestuelle qui se revendique baroque, se met cette fois en retrait pour ne faire entendre que sa voix.

Les spectateurs ne sont pas en reste pour autant car on sait et on constate qu’elle est travaillée tant par la musique que par les travaux d’Eugène Green sur l’ancien Français. Les roulements de [r] et les tonalités chantantes des phrases, accompagnés par l’orgue, suffiront donc à stimuler l’esprit et à le charmer par un texte riche en images frappantes.

Dans la lignée de Dante, le narrateur des Sueños de Quevedo se fait observateur de l’outre-monde – ou plutôt, l’autre monde. Par deux fois, il s’y retrouve, conduit par la mort ou guidé par ses mœurs. Son premier voyage adopte particulièrement la forme de la vision, sorte de songe enfiévré, provoqué ici par la maladie. L’approche terrifiante d’un pair décédé dans le tribunal de la Mort tire le narrateur de sa torpeur et le ramène à la vie.

Comme dans L’Enfer, à nouveau, la seconde Vision commence avec une promenade anodine. La dimension allégorique du texte surgit rapidement et on voit le narrateur passer du chemin de la Vertu, dépouillé et éprouvant, à celui du Vice, bien plus réjouissant et comblant tous les péchés. Un nouveau séjour aux Enfers prolonge ce voyage et place une nouvelle fois le narrateur en retrait, curieux des châtiments subis par les éditeurs ou les poètes.

L’ensemble renvoie irrémédiablement au spectacle de Lazar sur Les Etats et Empires de la Lune. Les personnages auquel il prête sa voix dans ces deux œuvres sont des voyageurs de l’inconnu, que ce soit la Lune ou l’Enfer. Alors que dans ce premier spectacle il lui avait aussi donné corps, cette fois, Lazar s’en remet à notre imagination.

Le texte percutant de Quevedo, illustré par des pièces d’orgues magnifiques, suffit à nous faire voir ces visions, à proprement dit. Il faut dire que, même plongée dans le noir, une église comme celle d’Arques-la-Bataille semble habitée d’esprits. Les voitures et motos qui passent, animent sans le savoir les vitraux et font circuler leur reflet sur les murs. Le cadre est idéal, alors même qu’il est dans le dénuement le plus total.

A partir du moment où le public a été installé en face-à-face et où les bougies ont été mouchées, le fervent silence n’a été rompu que par des rires furtifs et des volées d’applaudissements, une heure du matin ayant sonné. Chacun a été emporté par la mise en scène et renvoyé à son intimité propre, aidé par les tonalités multiples et réjouissantes de l’orgue surplombant.

Le pari de Lazar, encore plus fou que d’habitude, est gagné, et les habitués sont réjouis de voir se renouveler son travail.

F.

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