« Le Grand Troupeau » de Jean Giono

Giono a le souci de rendre une voix vraie, au plus près de ceux qu’il dépeint. Dans Le Grand Troupeau, c’est celle des hommes de la campagne surpris par la guerre de 1914 et celle des vieux et des femmes restés à l’arrière qu’il fait entendre. Le roman n’est pas historique, c’est une revendication de paix dissimulée par une description crue du désastre.

La métaphore contenue dans le titre est filée d’entrée de jeu. Le grand troupeau est d’abord celui de trois bergers chargés de faire descendre toutes les bêtes de montagnes, malgré leur fatigue et leur faiblesse. Le glissement se fait tout naturellement vers les soldats qui marchent en dormant jusqu’à en tomber par terre entre deux attaques.

Ce contact entre l’humain, l’animal et le végétal est permanent chez Giono, c’est l’essence même de son écriture. Chaque image mêle ces mondes en un seul flux. Les hommes reniflent la terre et le vent lèche les blés. C’est ce qui fait que les mots percutent tous les sens, ce qui enchante et prend aux tripes.

Découpé en parties et chapitres, le texte s’écrit en boucles. A chaque nouvelle section, le lecteur se demande de quoi et de qui il s’agit. Giono surprend chaque scène en son cœur, le plus souvent au milieu d’un dialogue, et se passe aisément de mises en situation. Les liens se tissent en celui qui lit et qui reçoit l’œuvre pleinement.

L’histoire et les personnages trouvent ainsi progressivement leur place au sein de la grande Histoire, que l’on ne perçoit qu’à travers eux. Les évènements se dévoilent, on aperçoit Verdun, mais c’est toujours du point de vue d’un seul homme, un seul corps qui souffre de l’abattement.

L’échange se situe aussi entre le front et l’arrière qui se font écho sans peine, sans qu’il soit nécessaire de faire des transitions. Les sentiments sont à peu de choses près les mêmes et le rapport viscéral avec la terre fait communiquer les êtres, hommes ou bêtes.

Le microcosme donne à voir un pan d’Histoire entier, sans date, sans chiffres. C’est l’Histoire à taille d’homme, mais la souffrance est universelle et touche en plein cœur. L’histoire de Jérôme, Joseph, Julia, Madeleine et Olivier n’est pas que la leur, et la naissance christique finale montre bien cette portée universelle.

F.

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