« Le Temps retrouvé » de Marcel Proust

Aussi attendu soit-il, le dernier tome d’A la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé, ne laisse encore rien présager de la révélation d’une vocation littéraire quand le narrateur reprend le cours de son récit.

Le deuil d’Albertine et les discussions avec Gilberte sur Saint-Loup font croire qu’en réalité le roman est sans fin. Pourtant, la lecture d’un pastiche des frères Goncourt, qui met en scène ses propres personnages, fait entrevoir l’auteur, caché depuis le début derrière un narrateur. Il prend à ce moment-là un certain recul, une distance par rapport à ce qui a précédé, et révèle que toute la psychologie de ses personnages se situe dans leur conversation.

Première clé enfin explicite en main, le lecteur s’attend donc à assister à l’exposé des théories esthétiques tant annoncées. Rien n’y fait, car la guerre de 1914 vient encore une fois le retarder. Dès lors, le narrateur sort de son cadre habituel, les salons et sa chambre, pour se faire le témoin d’évènements historiques.

Son talent d’observateur révèle les impacts de la guerre, tant sur l’art que sur la composition des réunions mondaines, ou encore sur les formes de langage. L’inconscience générale de son milieu est confrontée à un Charlus lucide et vindicatif, qui encore une fois se place comme le poète incompris de la société. Son « vice » le rattrape vite dans l’estime du narrateur quand celui-ci se trouve être le spectateur involontaire d’une scène de sadomasochisme dans un hôtel.

La mort de Saint-Loup et le souvenir qu’il remue sont les derniers événements qui précèdent une ellipse temporelle importante. Quelques années plus tard, donc, le narrateur est en proie aux plus grands doutes quant à sa vocation littéraire et à son talent. Une matinée chez les Guermantes vient le sortir de son défaitisme, alors que le phénomène de mémoire involontaire de la madeleine dans Swann, se reproduit par trois fois.

Dans la bibliothèque de ses hôtes, il prend alors conscience de la puissance de la mémoire qui lui procure une jouissance extratemporelle, lui fait effleurer l’éternité par un sentiment fugace et encore non maîtrisé. L’imagination et l’intelligence prennent une toute autre valeur à ses yeux, et il perçoit la nécessité profonde de faire une œuvre pour traduire sa vérité intérieure. Le constat de la vieillesse de ceux qu’il a toujours connus accroît cette urgence, en lui révélant cruellement le temps écoulé.

Les souvenirs qu’il a jusqu’ici exposés, les ambiances qu’il a cherché à retranscrire, tout prend enfin son sens. A ses yeux, la beauté se trouve dans l’expérience personnelle, et la matière de son œuvre ne sera rien d’autre que la vie qu’il a vécue. L’histoire de La Berma et de sa fille est la dernière à montrer cette progression du temps et la variabilité qu’il impose.

Finalement, la fille de Gilberte, son premier amour, incarne malgré elle le passé, le cristallise et le réunifie. Le narrateur, qui se révèle donc auteur, s’empresse d’aller écrire, sentant peser sur lui la double menace de son corps malade et d’une mort imprévisible. L’œuvre s’achève au moment où il s’apprête donc à relire son passé, qui commence avec

F.

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