« Le Neveu de Rameau » de Diderot mis en scène par Jean-Pierre Rumeau

Se peut-il ? Diderot aurait trouvé quelqu’un à la verve encore plus vive que la sienne ? Un paradoxe vivant comme il se plaît à en dépeindre dans tous ses écrits ? Oui, et cet énergumène n’est autre que le neveu de Rameau, du Rameau.

 

Dans ce dialogue, dit philosophique, Diderot retranscrit un échange riche en couleurs au Café de la Régence, avec ce pauvre diable, comme il dit. Philosophique, la conversation l’est peu d’apparence. Son interlocuteur jaillit, s’agite, mime et ne tient pas en place. A chaque pas, il manque de renverser la carafe et les verres, ou d’éventrer le clavecin.

Pour autant, il est question de génie et de morale, sujets chers à Diderot. Un génie, donc, peut-il être un honnête homme ? Peut-on être Racine et le meilleur des pères ? Faut-il que le génie transgresse pour briller ? Si l’on en croit l’exemple du musicien Rameau, dont le neveu crève de jalousie, la réponse est affirmative.

Diderot, s’il préfère l’éclosion de belles œuvres à une vie tranquille et ignorée, ne peut pourtant croire à cette incompatibilité. Certes, la fougue et la passion sont maîtresses dans la création artistique, et font la différence avec le talent, que ce soit en musique ou en peinture. Mais la morale ne doit pas être perdue de vue pour autant. Au contraire, elle doit être visée autant par l’homme que par l’art, voire même plus par l’art.

Et cette morale qu’il souhaite trouver où que son esprit s’égare, il cherche à l’insinuer dans celui, farouche, du neveu. Il tente de raisonner ses cheminements, de suivre sa logique, et de trouver des fondements à des pensées justes. En vain, le débat étant sans cesse appesanti par les considérations matérielles du marginal, dont les préoccupations sont celles du dîner, ou du souper.

Dans cette mise en forme de la pensée stimulée, la scène est un terrain de jeu : chaises musicales, chat, cache-cache, tout y passe. Le philosophe tente tant bien que mal de suivre le bouffon, ou de le faire asseoir, mais les onomatopées et les bruitages sont incessants.

Heureusement, les intermèdes musicaux viennent souvent ralentir le tourbillon de ces paroles en ébullition, et reposer un peu notre comédien énergique. Parfois, au contraire, les pièces de clavecin rythment la pensée qui s’échappe. La musique crée finalement l’ambiance à la fois animée et sophistiquée d’un salon du XVIIème siècle.

Malgré ses efforts, le philosophe n’aura réussi qu’à révéler un acteur aux talents multiples et à capter la brève effervescence de la jeunesse. Si morale il n’aura point trouvé dans ses propos ou ses actions, il se résout, comme son héros, Jacques le Fataliste, à une explication déterministe : « tout est écrit » et même l’immoralité d’un esprit ardent.

 

 

F.

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