« Journal à quatre mains » avec Lisa Schuster et Aude Briant

Nous sommes en mai 1940, rue Vanneau à Paris. Deux sœurs de bonne famille, Benoîte et Flora Groult, font part de leurs impressions sur les évènements  internationaux et leur guerre à elles, celle de la jeunesse, dans un journal commun.

Elles ont beau être sœur, elles ne sont qu’antagonisme. Benoîte, l’aînée est brune, c’est l’Intellectuelle. Flora, de quatre ans sa cadette, est blonde, c’est la Coquette. Dans un décor juste, qui matérialise leurs chambres contigües, les mois et les années passent, laissant la part belle au texte. A part un rapide séjour à Concarneau, au début de l’occupation, tout se passe à Paris : les bombardements, les fêtes, les problèmes de ravitaillement et les rencontres fortuites.

Aux remarques, tantôt drôles et tantôt piquantes, sur la guerre, Vichy, et l’occupation, se mêlent des préoccupations proprement personnelles de deux jeunes filles qui découvrent la séduction et les charmes. La question du mariage pèse sur l’une comme l’autre, et s’alourdit avec l’arrivée de Pétain.

Malgré la guerre, Benoîte étudie sérieusement pour obtenir son agrégation de latin. Sa façon de transposer les faits témoigne d’une culture riche, et fait entrapercevoir les germes d’un féminisme qu’elle n’observe pas sans humour. Et pourtant, c’est bien elle qui se marie la première, rompant avec la tradition familiale en épousant un intellectuel de classe inférieure. On y voit des airs de Virginia Woolf et Simone de Beauvoir.

Flora, quant à elle, s’éprend de jeunes hommes de bonne famille, qui ne connaissent pas assez l’amour courtois à son goût. Elle voit tristement sa sœur quitter petit à petit le foyer familial, et intégrer un milieu intellectuel qui ne correspond désormais plus à l’élite. Ses longues discussions avec sa mère sur les hommes et l’amour, montrent l’autre pan d’une éducation commune avec sa sœur.

Quand la guerre prend fin et que les Américains envahissent les rues de Paris, c’est un réel couronnement de ces quatre années charnières de leur accomplissement. L’insouciance trop vite écartée peut reprendre pour un temps, avant de laisser place à un avenir à construire de toutes pièces, dans lequel le journal n’aura plus sa place.

Leurs phrases se croisent, se complètent, apportent des jugements sur l’autre, et forment un tout cohérent. Le porter à la scène est une façon de révéler la force de beaucoup de leurs formules, écrites pendant ces cinq ans.

La Seconde Guerre mondiale prend alors une autre tournure dans la bouche de ses deux jeunes filles, ni trop indifférentes, ni trop engagées. Les comédiennes donnent joliment vie à ces deux figures, et incitent à découvrir leurs écrits nombreux et dont la modernité est surprenante.

F.

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