Meursault, de Camus à Visconti

L’Étranger est certainement un des livres les plus connus de Camus. La superbe adaptation de Luchino Visconti, Lo Straniero, fait prendre conscience de la puissance de ce roman et invite à s’y replonger.

Il y a certaines scènes qui nous collent à la mémoire : la plage, la prison, le tribunal. Ce sentiment de chaleur assourdissante reste aussi, cette omniprésence du ciel et du soleil. C’est un roman qui ébloui de sa lumière, mais une lumière qui oblige à fermer les yeux, qui fait perdre la tête et qui finalement conduit à la prison sombre.

C’est d’ailleurs à ce compte là que Meursault met les raisons de son acte lors de son procès. Ce qui nous semble à nous évident, pour avoir assisté à la scène, semble pourtant désuet aux yeux du procureur et à ceux des jurés. Il faut dire que l’accusé est spectateur de son propre procès et de toute sa vie. Il s’étonne peu de voir son avocat dire « je » à sa place, malgré le fait qu’il prenne conscience de la substitution.

Il n’a pas d’ambition, il le dit. Les seuls retours qu’il a sur lui-même se font essentiellement dans sa cellule, et pour le reste, ce sont des récits factuels avec quelques impressions vagues. Il y a des refrains qui montrent ce détachement, « Je crois que j’étais heureux à ce moment là » ou « je lui ai dit que ça ne me dérangeait pas, que je trouvais cela intéressant ».

Meursault est en effet du genre à trouver les choses intéressantes, à prendre pour curiosité les faits de la vie, quand d’autres s’y engagent corps et âme au point de se perdre, comme son ami Raymond. Il ne ressent pas d’amour mais de l’affection, n’a pas de regrets mais de l’ennui. Il dit lui-même ne pas connaître les réactions élémentaires du cœur humain. Enfin, il ne voit pas l’intérêt de mentir, même si c’est pour éviter la peine capitale.

Sa condamnation a alors pour prétexte son attitude, sa nature : on lui reproche de ne pas être humain, de ne pas souffrir de la mort de sa mère, d’être insensible. En somme, son détachement inquiète, on voudrait le voir plus affecté, plus torturé.

En arrière-plan philosophique, on voit bien la pensée de l’absurde que Camus a conduite dans Le Mythe de Sisyphe ou Caligula. Le personnage de Camus est une des victimes désabusées de la guerre, c’est la raison pour laquelle il se laisse porter par l’habitude, comme son voisin Salamano, et par le hasard des circonstances. Il attend que son destin l’élise, et non le contraire.

Le film de Visconti de 1967, avec les magnifiques Marcello Mastroianni et Anna Karina, est d’une fidélité sans pareil. Chaque geste, décrit avec précision par Camus, est retranscrit par l’image. De même, l’ambiance est mot pour mot celle qu’on lit, les couleurs sont bien celles qu’on imagine. C’est un délice de les mettre dos à dos, de croiser les mots et les plans. Le seul regret est que ce soit un film italien, qui ne laisse pas entendre la langue de Camus.

F.

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