« Le Bourgeois Gentilhomme » par le Poème Harmonique

Le temps s’est arrêté hier soir, au Château de Versailles. Dans le magnifique Opéra Royal, récemment rénové, les lumières s’éteignent et font place à l’éclairage vacillant des bougies. L’orchestre commence d’emblée forte et nous voilà en 1670, à la cour de Louis XIV. Elle assiste ce soir à la première représentation de la Comédie-ballet Le Bourgeois Gentilhomme, de Messieurs Lully et Molière.

Le Bourgeois GentilhommeIl y a quelques années de cela maintenant, le Poème Harmonique, ensemble baroque dirigé par Vincent Dumestre, a fait le pari de proposer une restitution la plus proche possible de ce que fût cette pièce bien connue au temps de sa création. La première originalité de ce projet réside dans l’interprétation de tous les intermèdes musicaux et dansés qui ponctuent cette œuvre à double géniteur.

Lorsque le rideau s’ouvre le public découvre un décor pour le moins simple. Entre un jeune artiste qui compose un air, le fameux Je languis nuit et jour, à la lumière de sa petite lanterne. Claire Lefilliâtre, attirée par cette douce musique, s’approche et lui prête sa voix une fois que le Maître de musique et le Maître à danser ont officiellement marqué le début de la pièce par le premier dialogue.

La tentation est grande de vouloir comme cela détailler chaque instant, chacun de ces tableaux dignes d’attention, mais le tout durant près de quatre heures – comme c’était probablement le cas à l’époque –  il faut y renoncer. De plus, à chaque seconde, le regard est sollicité en plusieurs endroits à la fois, soucieux de capter tous les détails qui lui sont à la fois dévoilés et dérobés dans le clair-obscur ambiant. Entre raffinement extrême et foisonnement joyeux, on retrouve là un spectacle total  comme il est rare d’en voir aujourd’hui.

L’ »ancien francoys »réhabilité grâce à Benjamin Lazar, fidèle disciple d’Eugène Green qui a écrit le traité, La Parole baroque, fait entendre chaque phrase comme s’il s’agissait d’une langue neuve, à la fois étrangère et familière. Les mots sont redoublés par une gestuelle  d’une grâce et d’une précision sans pareil. La lumière des bougies, par sa douceur et les ombres qu’elle dessine, ainsi que le blanchiment des visages qui forcit les traits, mettent en valeur le doigté et les figures de chaque comédien. Les pas de danse quant à eux sont mesurés et légers –  sauf évidemment quand il s’agit de Monsieur Jourdain – grâce aux conseils de Cécile Roussat, la chorégraphe.

A l’émerveillement de la cour se mêle son amusement. La pièce est drôle, on s’en souvient, mais le comique est ici amplifié sans être grossi, et la mise en scène le sert en tous points. On retiendra en particulier le célèbre cours de philosophie de Monsieur Jourdain : après la fameuse leçon concernant la prononciation des voyelles, la mise en forme d’un billet doux occupe tout l’espace, c’est grandiose !

Et que dire du jeu de Covielle qui annonce à ce même Monsieur Jourdain l’arrivée du fils du grand turc ? Et du jeu des garçons tailleurs au moment de vêtir le maître du logis ? Et du festin mémorable avec Dorimène et Dorante, jusqu’à l’arrivée de l’effroyable Madame Jourdain ?

Trop de scènes sont à citer pour témoigner de l’enthousiasme général. On redécouvre la pièce de la plus petite unité, les mots, à son fonctionnement général et son achèvement en grande pompe avec le Ballet des nations.

Chaque artiste est à féliciter individuellement pour sa performance, à la croisée des arts. Du mime au théâtre, de la déclamation au chant, du simple déplacement à la danse, il n’y a à chaque fois qu’un pas. La magie du spectacle nous fait croire qu’ils sont tous d’habiles orateurs, de fins danseurs et d’excellents chanteurs ; la réalité veut que cela soit le résultat de leur complicité, perceptible à la scène.

Lorsque le rideau se relève pour que les artistes soient acclamés, on peut en dénombrer près de vingt-cinq, mais c’est sans compter l’orchestre aux multiples teintes et tout le travail des costumiers et des maquilleurs. In fine, la symbiose des arts a fait effet, la cour est conquise.

Ce moment unique et éphémère prend trop vite fin et l’on voudrait ralentir la cadence, revenir en arrière, réécouter la musique. De retour dans notre disgracieuse contemporanéité, il n’y a plus qu’à acheter le DVD pour se satisfaire.

F.

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