« Mangeclous » d’Albert Cohen

Pile dix ans avant que le grand roman de l’amour ne soit reconnu comme tel par l’Académie française, i.e. Belle du Seigneur, Albert Cohen signe son deuxième livre, Mangeclous. On y retrouve déjà la verve rabelaisienne, l’humour et les grandes thématiques communes à bon nombre de ses œuvres. C’est un brouillon hilarant, une large préface, une annonce de la suite.

Si Solal et Ariane sont les grands personnages que l’on associe à Albert Cohen, ceux qu’il désigne comme étant les « Valeureux » tiennent une place très importante aussi. Saltiel, Mathattias, Salomon et Michaël sont des proches de Solal. Ils rappellent ses origines juives et sa vie avant Genève, sous le soleil de Céphalonie.

Le dénommé Mangeclous en est une figure phare, descendant de Gargantua par sa gloutonnerie et sa loufoquerie. Loin d’être le plus sage, il se distingue par son ambition, son énergie, sa parole intarissable de faux avocat, ses croyances improbables.

Le rapprochement avec Rabelais va plus loin que le ton de bonimenteur, car on retrouve dans l’œuvre des étapes communes : les origines de son nom ainsi que tous ses titres, un semblant de « Fanfreluches Antidotées » avec le code secret qui est à l’origine de la grande épopée, sa naissance extraordinaire, ses lectures, l’éducation de ses enfants, ses jeux, ou encore les sujets scabreux qui l’enhardissent !

On retient évidemment un passage en particulier à ce propos : Mangeclous fait un laïus remarquable sur la cruauté des auteurs à ne jamais autoriser à leur héros de se purger ou même à avoir un borborygme. Il propose ainsi une relecture d’Anna Karénine comme nul n’en a proposée avant lui : c’est grandiose et à se tordre de rire !

En arrière-plan, c’est la voix de Cohen lui-même qui résonne. Ces idées sont celles qu’il développe dans Belle du Seigneur, et il quitte progressivement les Valeureux par épuisement pour se tourner vers ses prochains héros. Les dernières pages sont ainsi consacrées à la famille Deume et le livre s’achève quelques instants avant le début de l’intrigue du grand roman de l’amour.

Le livre est drôle, dynamique, plein de rebondissements, il mêle gras discours et délicate poésie. On voit le livre s’écrire sous nos yeux avec les effets de styles de Cohen, c’est fascinant. Il permet de redécouvrir l’auteur et sa plume acerbe, et de se remettre en mémoire Belle du Seigneur, voire de donner envie de le re-(re-re-)lire.

F.

L’équitation, répondit sévèrement Mangeclous, c’est les bottes. C’est comme l’amour. L’amour ce n’est pas la dame que tu aimes mais les lettres que tu lui écris.

Qu’est-ce que tu racontes avec ton intérieurement ? Moi, quand je pense, c’est extérieurement.

Oui, messieurs, depuis Homère et jusqu’à Tolstoï, les jeunes héros et héroïnes souffrent, surtout s’ils son beaux, d’une épouvantable rétention.

Je suis un inconnu, moi ? Mais ne sais-tu pas qu’un livre tout entier appelé « Solal » a été écrit sur moi avec mon propre nom et que l’écrivain de ce livre est un Cohen dont le prénom étrange est Albert.

PS : si quelqu’un sait comment je peux me procurer le film de Moshe Mizrahi avec Pierre Richard et Villeret, faites-moi sgine !

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